La poupée de la petite Juive

Publié le par Sam Braun

Je voulais, depuis longtemps, raconter une belle histoire qui m'est arrivée il y a quelques années et qui pourrait être le thème d’une nouvelle littéraire tant elle fut pour moi vivante et émouvante. Vous excuserez mon style qui n’est pas celui d’un nouvelliste !

Sollicité par une association pour venir à Clermont-Ferrand, où je fus arrêté avec mes parents et ma petite soeur, pour faire une conférence sur ma déportation, j'ai eu la chance de rencontrer le petit-fils de la propriétaire de l'immeuble dans lequel nous habitions, rue La Tour d'Auvergne. Cette femme, très liée avec mes parents et qui fut une grande résistante, leur avait proposé de nous cacher, ma petite soeur et moi. Mais mon père, dans son admirable candeur, se sentant profondément français, bien qu’il soit né sous d’autres cieux, était certain que nous ne risquions rien. Il était persuadé que nous ne serions pas arrêtés, puisqu’il avait fait la guerre de 1914 et qu'il fut décoré à ce titre. Il en était tellement convaincu qu’il ne se cachait pas et nous laissait aller à l’école sans aucun problème. Ecoutant peut-être les raisons invoquées par ma mère, il a quand même remis à notre propriétaire un certain nombre d'objets, dont tous ses livres auxquels il tenait tant.

À mon retour d'Allemagne, en 1945, alors qu’avec mon frère j’ai réintégré l'appartement de mes parents, la propriétaire de l’immeuble, femme admirable s’il en fut, nous a rendu bien sûr tout ce que mon père lui avait confié.

Quelques années plus tard, alors que sans laisser d'adresse, j'ai quitté Clermont-Ferrand pour rejoindre Paris pour y mener mes études de médecine, elle retrouve au fond d'un placard une grande poupée ayant appartenu à ma petite soeur Monique. Cette poupée, en celluloïd, comme on les faisait à l'époque, était haute d’au moins 80 cm, et je la revois encore vêtue de sa robe rose tricotée par ma maman.

Que faire de cette poupée, a dû penser cette femme, puisqu'elle ne pouvait pas me la remettre n'ayant pas mon adresse ?

Alors, avec précaution, elle l'a assise sur un fauteuil sur le palier du premier étage de l'immeuble, face à la porte d'entrée de notre ancien appartement, et telle une relique quasiment religieuse, elle l’a laissée des années sur son siège en disant toujours à son petit-fils, qui chaque fois voulait la toucher : « Il ne faut pas toucher à cette poupée, Jean-Pierre, c'est celle de la petite Juive qui est morte en déportation ».

Et tous les ans, avec sa grand-mère, Jean-Pierre lavait la poupée, et tout le temps la grand-mère comme une litanie disait à son petit-fils : « ne touche pas à cette poupée, c'est celle de la petite Juive ».

Devenu jeune adulte, le hasard comme un clin d'oeil, a voulu que Jean-Pierre, avec sa maman, non seulement occupe l'appartement que nous habitions, mais ait eu comme chambre celle qui fut mienne et que je partageais avec mon frère.

Durant des années, en sortant de son appartement, cette poupée lui tendait les bras comme une invite à la serrer contre lui. Et toujours sa grand-mère disait « ne touche pas à cette poupée, Jean-Pierre c'est celle de la petite Juive », et toujours comme un rituel de toilette funèbre, avec sa grand-mère, tous les ans il nettoyait la poupée.

Ses gestes, devenus rituels et les interdits de sa grand’mère perdurèrent au point de devenir pour lui totalement insupportables. Et les années passèrent, l'horloge du temps marquant irrémédiablement les jours qui succèdent aux jours.

Cinq ans environ avant mon arrivée, cette merveilleuse femme qui faisait ainsi revivre ma petite sœur à travers la poupée qu'elle aimait, fait un signe d'adieu à la vie. Et le premier soin de son petit-fils, qui durant des années avait sous les yeux ce jouet qu’il ne pouvait pas toucher autre que dans des rituels de nettoyage, n’eut rien de plus urgent que de jeter cette poupée qui symbolisait pour lui tous les interdits de son enfance.

Quelques années plus tard, me voilà invité à Clermont-Ferrand pour parler justement de ma petite soeur, de mes parents et de ma survie à Auschwitz ! Et un monsieur d'une soixantaine d'années, avec ses bons yeux pleins de larmes, se précipite vers moi et me dit en me serrant contre lui : « Pardonne-moi Sam, il y a quelques années  j’ai jeté la poupée de ta petite soeur !! ». Et tout en m'expliquant ce que je viens de vous raconter il pleurait en s'excusant : « Comprend-moi Sam, j'ai tellement entendu ma grand-mère me dire, en m'interdisant de toucher à cette poupée, que c’était celle de la petite Juive, que je n’avais qu’une hâte, m'en débarrasser au plus vite ! ».

Si la télévision clermontoise conserve ses documents filmés, elle a, dans quelque tiroir, le visage en larmes de Jean-Pierre contant au journaliste l’histoire de « la poupée de la petite Juive ».

 

Publié dans sambraun

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S
<br /> <br /> Bonjour Monsieur<br /> <br /> <br /> Je viens de lire ce que vous avez écrit dans votre site : j'ysuis arrivée par le site des amitiés judéo chrétiennes . Je suis de plus en plus consciente de l'horreur de ce qui est arrivés au<br /> Peuple juif depuis si longtemps, pas seulement la Shoah...et en même temps comme catholique membre d'une communauté de vie  je me sens juive spirituellement par une énorme partie de mes<br /> racines de foi et d'ailleurs je porte une petite étoile de David sur ma croix deje  bois de la communauté. Comment vous dire à quel point ce que le Peuple Elu a souffert me concerne . Que<br /> suis-je pour vous demander pardon au nom de mes frères chrétiens qui laissé faire celà, qui ont accusé les Juifs de n'inporte quoi au cours des siècles ? Nous avons tellement de fraternité à<br /> partager.<br /> Merci de votre force de résilience.<br /> <br /> <br /> Avec mon plus grand respect pour ce que vous êtes je vus salue fraternellement<br /> <br /> <br /> Sylvie Blaize<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> bonjour monsieur sam braun.<br /> avec tout le respect que je vous dois je viens vers vous.<br /> sans doute est ce le hazard?...........je ne sais pas,je ne sais plus.............<br /> je me suis empressé hier soir de vous connaitre.....a travers internet je viens d avoir quelques renseignements sur vous......votre livre....votre histoire.........je vais m enpresser de trouver<br /> votre livre aujourd hui!! lire votre soufrance,votre cheminement face a ce drame et surtout comprendre et essayer de retrouver le gout a la vie!cette vie.........qui pour moi ai devenu enfer, cette<br /> vie ou je suis devenu ecoeuré par la race humaine, cette vie ou je suis devenu un oiseau dans une cage........porte fermée et rester simplement au calme avec mes bons animaux qui sont devenuent<br /> "MON PILIER" MA SURVIE.............je n ai plus de gout a rien............je suis sous traitement avec un psy........je vie aussi l horreure.........je sais pas si le paradis existe,mais l enfer<br /> oui! j y suis...........<br /> Avant toutes autres choses ,je me permettrai  de vous demander l autorisation de vous raconter mon histoire.?.............<br /> je cherche une porte, une ecoute,je cherche a connaitre le chemin de la vie avec le poid d une soufrance.......je pense avoir un long chemin  a faire  c est sur!!!!!!<br /> j ai rencontré une de vos fille, avec un grand coeur, un pur hazard! merci de me lire.............................<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Chère Brigitte, je ne suis pas psychiatre ni psychanalyste mais je suis prêt à lire votre histoire si le fait de l'écrire soulagz votre "mal dze vivre"<br /> Oui la vie est parfois bien pénible mais elle est aussi le plus beau des cadeaux. Il faut toujours espérer et penser que demain sera meilleure qu'aujourd'hui.<br /> Vous pouvez m'écrire directement à :    sbraun@wanadoo.fr<br /> Cordialement<br /> <br /> <br />
M
<br /> Bonjour Sam,Je suis élève de 3ème et je tenais simplement à vous remercier d'être venu dans notre collège (le collège Alfred de Vigny, à Courbevoie). Votre témoignage m'a vraiment émue et touchée et ce que j'ai apprécié votre sagesse. Pendant ces deux heures de témoignage, vous nous avez raconté des anecdotes, vous nous avez fait réfléchir sans pour autant parler en long et en large d'Auschwitz et des horreurs qui se déroulaient dans ce camps. Je pense que vous êtes quelqu'un d'exceptionnel, et qui, en plus, sait rester humble. Plusieurs fois dans votre témoignage, vous nous avez dit que vous n'étiez pas un héros, et vous nous avez parlé de résistants, comme celui qui était dans la cellule avec vous et qui chantait des berceuses, ou ceux, qui lançaient du pain du haut des plates-formes de la gare, et qui même sous le feu des nazis, continuaient à en lancer.J'ai aussi aimé l'anecdote avec le chocolat, que vous avait demandé de raconter mon professeur de français (Mme Maquerre). Je me rends compte de la chance que j'ai eu d'entendre votre témoignage, et je m'en souviendrais encore longtemps. C'est vraiment important, à mon avis, que des gens viennent dans les collèges ou les lycées parler de la Shoah, ou tout simplement du racisme, afin que plus jamais il n'y ait de telles guerres. Merci encore de vous être déplacé pour nous parler, c'était vraiment intéressant.Marine<br />
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S
<br /> Chère Marine, je suis très touché par ton message qui me montre, une fois de plus, s'il en était besoin combien votre sensibilité, à vous les jeunes, est très aiguisée. J'en suis très heureux<br /> car cela justifie les efforts que nous fournissons, nous les anciens déportés, pour venir vous rencontrer dans vos écoles malgré notre âge déjà bien avancé !<br /> Si tu devais ne te souvenir que d'une seule chose après mon témoignage, c'est que la vie est le plus beau des cadeaux. C'est pourquoi il faut tout faire pour respecter celle des autres.<br /> Je t'embrasse très fort<br /> <br /> <br />
M
Cher Sam,J'ai enfin trouver votre blog! J'en suis d'ailleur ravi! Je tenais a vous remercier une fois de plus pour votre déplacement dans mon lycée a Nevers (lycée raoul follereau). Je tenais aussi a vous remercier pour votre déplacement dans la petite ville de Sermoise sur Loire où nous avons ensemble rendu hommage aux Hommes mort pendant la guerre. votre témoignage ma une fois de plus émus et je vous en remercie car une fois de plus vous m'avez redonner espoir! Encore merci beaucoup, je vous promet de ne jamais vous oubliez!Je vous embrasse vous et votre famille sans qui je n'aurai pus vous revoir.Amicalement      Marion
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S
<br /> J'espère chère Marion que cet espoir que j'ai réussi à te redonner ne te quittera jamais. La vie, malgré les embûches qu'elle met sur notre route, malgré les peines et les drâmes qu'elle nous<br /> réserve parfois, la vie, chère Marioin est le plus beau des cadeaux. C'est pourquoi il faut la vivre pleinement dans l'amour et le respect de l'autre, seuls sentiments qui feront que ton existence<br /> soit une parfaite réussite.<br /> Si tu veux m'écrire directement tu peux le faire au  sbraun@wanadoo.fr<br /> Je t'embrasse très fort<br /> <br /> <br />
L
Cher Sam, Vous êtes venus jeudi dernier au collège Alfred de Vigny pour la classe de 3ème de Mme Allo. Je voulais juste vous remercier d'être venu, d'avoir partager votre histoire avec nous. Vous nous avez beaucoup touché. Vous êtes un homme rayonnant et très courageux. Ce que vous faites est beau et je repense souvent à cet homme dont vous parliez qui chantait des berceuses et que votre mère nourissait. J'ai lu l'histoire sur la poupée juive , elle m'a beaucoup touché et j'en suis toute retournée. De plus, elle est très bien écrite. Merci encore. Laura
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S
<br /> Chère Laura, pour des raisons que j'ignore je t'ai écris dejà deux messages qui ne sont pas passés.<br /> Je voulais te dire merci car, alors que je croyais avoir peu intéressé les élèves de ces trois classes, tu me redonnes l'espoir en l'utilité de la mission que je me suis imposée.<br /> Si tu veux m'&crire tu peux le faire directement au  sbraun@wanadoo.fr<br /> Merci encore. Je t'embrasse très fort<br /> <br /> <br />