Laurie... et tous les autres
Il y a dans la vie des jours fastes, des jours heureux au cours desquels on se dit, sans aucune espèce de morbidité, que l’on peut mourir en paix. Il y a des jours où, sans être parfaitement satisfait du travail accompli puisqu’il n’est jamais totalement abouti, où l’on voit les graines que nous avons semées prendre racine, de jeunes pousses apparaître, sortir de terre et donner de belles plante qui fleuriront et répandront autour d’elles le parfum du message qu’on a voulu transmettre. Il y a des jours fastes, où tout parait simple.
Depuis plus de vingt cinq ans, avec comme viatique tout ce que j’ai appris là-bas, je vais de collèges en lycées pour éveiller les jeunes à l’importance de l’Autre. Et depuis tout ce temps, comme je l’ai déjà écrit par ailleurs, une obsession me taraude : à quoi sert tout ce qu’avec de nombreux autres rescapés des camps nazis, nous faisons auprès des jeunes ? Avons-nous réussi, dans notre « travail de mémoire » à faire progresser, ne serait-ce que d’un iota, le « vivre ensemble » auquel nous tenons tant ?
Et puis, Laurie, jeune lycéenne, m’a adressé il y a deux jours le message qu’avec son autorisation je vous communique ci-après :
Cher Sam,
« Lundi 11 Mai 2009 » une date que j’attendais depuis trois semaines avec impatience. Cette journée était déjà à l’origine importante à mes yeux, mais elle l’est devenue encore plus depuis l’annonce de votre venue. C’est aussi la fin de notre projet scolaire, une finalisation de tout ce travail fait pour la mémoire. Et c’est à partir de ce jour que je deviens à part entière un Passeur de Mémoire. Un rôle important à mes yeux. Le temps passe, mais l’Histoire reste. Et il ne faut pas oublier. Ce n’est finalement pas évident d’être Passeur de Mémoire, car il faut trouver les mots justes pour pouvoir parler de la Shoah. Pour pouvoir parler de choses que nous n’avons pas réellement connues, et savoir faire passer un message précis avec cette mémoire.
Si votre rencontre a été celle qui m’a le plus touchée, c’est parce qu’à travers vos paroles on comprend alors l’importance d’une vie. L’importance de vivre sa vie, et de ressortir toujours plus fort des épreuves. L’expression qui me revient toujours quand je repense à votre intervention est : « Une leçon de vie ». Il n’y a pas plus impressionnant que d’entendre, de la part d’une personne qui a connu la pire des horreurs, que la vie est belle.
Merci pour tout.
J’espère tout de même vous revoir bientôt !
Prenez soin de vous.
Laurie
Sitôt ce message reçu je lui ai adressé la réponse suivante :
Ma chère Laurie,
Ta lettre que j'ai lue avec bonheur, m'a beaucoup ému. Elle m'a ému et surtout rassuré sur l'avenir du "travail de mémoire".
Depuis 25 ans j'interviens dans les écoles et je n'ai de cesse de faire que parmi tous les jeunes que je rencontre, nombreux d'entre eux deviennent des "passeurs de mémoire". Pour raconter non seulement ce que fut l'ignominie des camps nazis, mais aussi et surtout pour communiquer autour d'eux ce que nous avons appris là-bas. Certes nous l’avons payé cher mais nous avons appris ce que plusieurs vies mises bout à bout ne nous auraient pas enseigné. Nous avons appris : l'amour de la liberté, le respect de la différence de l’Autre dans la plus totale tolérance, l’amour de l’humanité dans le respect de la dignité de tous seraient-ils nos plus grands ennemis, la lutte indispensable contre toutes formes de violence, de racisme, contre toute résurgence de l'antisémitisme, en d'autre termes nous avons appris "l'art de vivre ensemble".
La lecture de ta lettre me montre que tu es engagée dans cette voie et j'en suis tout heureux. Merci chère Laurie.
Je t'embrasse très fort
Et le lendemain je reçois le message suivant :
Dans deux semaines, avec une amie nous allons passer dans d’autres classes du lycée pour parler de la Shoah. Et à mon tour je vais utiliser ce que vous avez pu me dire pour faire passer le « message ».
A très bientôt, la distance et le temps ne me décourage pas : j’espère toujours.
Prenez soin de vous.
Laurie
Après avoir lu ces messages a-t-on le droit de désespérer de la jeunesse ? Merci Laurie pour le bonheur que tu nous donnes.
Et voilà une autre joie : à l’occasion du dernier Concours National de la Résistance et de la Déportation traitant des enfants et des adolescents dans l’univers concentrationnaire, nombreux travaux se sont structurés autour de mes interventions dans les établissements scolaires. J’en remercie bien sincèrement leurs auteurs et leurs professeurs qui les ont souvent aidés dans leurs recherches de documentations.
Je ne peux pas, malheureusement, les citer tous et pense au Lycée R. Follereau de Nevers dont les enfants ont réalisé des cartouches sous la forme de « Je me souviens …. » au Collège Henri Barbusse de Alfortville (dans la région parisienne) dont les élèves ont créé un Blog que vous pouvez visiter à l’adresse suivante : http://cnrd2009barbussegroupe5.over-blog.com/
Le « travail de mémoire » qui n’est, somme toute, que l’enseignement de « l’art de vivre », est entre de bonnes mains.