Enseigner la Shoah.

Publié le par Sam Braun

Enseigner la Shoah ou comment transformer une mauvaise idée en bonne pratique…

 

           

            Beaucoup d’arguments ont été avancés rapidement pour s’opposer à l’injonction hâtive du président Sarkozy dans son discours au CRIF du 13 février 2008. La volonté que « chaque élève de CM2 se voie confier la mémoire d’un enfant victime de la Shoah », présentée comme une décision évidente et urgente, a fait réagir bon nombre de rescapés, d’historiens, d’enseignants et de parents…

Si l’on excepte ses inspirateurs ou quelques courtisans acharnés, plus personne ne considère cette idée comme « bonne ». Parce qu’elle suggérait une identification individuelle précoce à une destinée tragique, parce qu’elle prétendait charger d’un deuil mortifère la mémoire d’un enfant, parce qu’elle encourageait éventuellement d’autres revendications mémorielles, parce qu’elle réduisait l’histoire de la Shoah à une victimisation peu propice à l’étude ou à la compréhension, parce qu’elle confondait devoir de mémoire et réflexion, cette mesure incongrue et impérieuse fut largement rejetée.

« Il est nécessaire d’enseigner la Shoah aux élèves de CM2 » affirme le ministre de l’Education pour défendre l’ « intuition » présidentielle. Cette pétition de principe est elle aussi fort discutable ! Qu’il soit nécessaire d’enseigner la Shoah, tout le monde en conviendra.

Mais est-il si nécessaire d’enseigner l’extermination des juifs à des enfants de 10 ans ?

On peut au moins se poser la question. On peut aussi s’interroger sur la nécessité d’enseigner, en CM2, les détails d’une horreur insoutenable que les adultes ont parfois du mal à supporter.

            L’on mit donc en place une commission dirigée par Mme Waysbord-Loing baptisée « Mission pédagogique au sujet de l’enseignement de la Shoah dans le primaire », comme si l’enseignement de la Shoah posait un problème urgent en février 2008 dans les écoles primaires ! Comme si ce problème concernait exclusivement les enfants de 10 ans ! On oublia d’intégrer à cette commission des enseignants en fonction, les premiers concernés par ce travail, mais peu importait : tout le monde l’avait compris, il s’agissait de faire oublier la proposition du CRIF et de la remplacer par des mesures réfléchies et pesées, cette fois. Quand la décision précède la réflexion, il faut parfois faire machine arrière.

            Et le ministre de l’Education affirma que « la bonne idée du président devait se transformer en  bonne pratique »…

            L’idée de confier la mémoire d’un enfant juif exterminé à un enfant de 10 ans ou même à une classe, comme il fut dit après, nous semble une très mauvaise initiative. Bien sûr, après le tumulte médiatique viennent rapidement le silence et l’oubli. Mais, une fois les projecteurs journalistiques éteints, le sujet et les problèmes demeurent. C’est pour cette raison que nous intervenons aujourd’hui.

L’idée de contribuer à la réflexion pédagogique sur la Shoah, enseignement qui a fait l’objet d’un travail très important ces dernières années et qui mobilise l’énergie de nombreux professeurs, est intéressante. L’initiative dans ce domaine doit éviter l’improvisation et les polémiques que suscite toute décision contestable et brutale. Elle ne doit pas se limiter au cadre du primaire, comme le laisserait penser la création de la commission Waysbord-Loing.

Les mesures annoncées doivent être applicables et concrètes d’une part, elles doivent concerner tous les niveaux de l’enseignement d’autre part. Pour ces raisons nous proposons  dix mesures précises qui peuvent, selon nous, favoriser l’enseignement de la Shoah et contribuer à un débat que nous souhaitons large, car l’enjeu est essentiel :


 

 

 

1)      LES JUSTES EN CM2

L’idée de confier la mémoire d’un enfant victime de la Shoah à un enfant de 10 ans ou à une classe de CM2 nous semblant mortifère et inadaptée à cet âge, nous proposons d’inverser l’approche. Nous proposons d’étudier les parcours des enfants cachés, des survivants et des Justes. Ce qui permettrait d’évoquer plus discrètement l’extermination tout en sensibilisant les enfants aux principes qui ont guidé les sauveurs. Une recherche collective pourrait être suggérée, en fonction de la région de l’établissement, sur le profil d’un Juste ou le village de Chambon-sur-Lignon et son organisation.

 

2)      LES CRIMES CONTRE L’HUMANITE

Les programmes de CM2 suggèrent actuellement l’étude de la Shoah en ces termes : « L’extermination des juifs par les nazis : un crime contre l’humanité ». Bien que cette ultime notion nous paraisse elle aussi inadaptée pour un public d’enfants de CM2, bien que le fait de lier la notion de « crime contre l’humanité » à la seule Shoah soit discutable et potentiellement porteur de conflits ou de revendications « mémorielles », nous pensons que l’intention initiale était généreuse. Si la notion de « crime contre l’humanité » devait être conservée en CM2, il faudrait sans doute en profiter pour évoquer d’autres « crimes contre l’humanité » et parler par exemple de l’esclavage des Noirs.

 

3)      LA SHOAH ET L’IUFM

Il faut insister sur la formation des enseignants qui ne sont pas tous des historiens et des spécialistes de cette période. L’évolution des recherches historiques dans ce domaine est très rapide et les publications sont, chaque année, très riches et très diverses. Un effort particulier doit être fait par l’Education Nationale pour cette question délicate. Nous demandons qu’un séminaire soit organisé, chaque année, à partir de 2008, dans tous les IUFM, sur la Shoah et son enseignement. D’autre part, un dossier devrait être fourni à chaque enseignant comportant des textes utilisables en classe et des pistes pédagogiques solides. Pour le niveau CM2 par exemple, des textes sur les Justes seraient présentés, sur le parcours d’un enfant caché et un exposé historique précis sur le sujet serait fourni aux enseignants.

 

4)      COMMEMORATIONS

Les journées consacrées aux commémorations devraient, selon nous, faire l’objet d’une attention particulière. Nous pensons en particulier au 27 janvier (commémoration de la libération d’Auschwitz), au dernier dimanche d’avril (journée du souvenir de la déportation) mais aussi au 10 mai (commémoration de l’esclavage). Curieusement cette année, en 2008, aucun discours officiel au plus haut degré de l’Etat n’a évoqué la libération d’Auschwitz le 27 janvier. Nous le regrettons. Car le devoir de mémoire concerne la mémoire collective officielle et les enfants de 10 ans ne sont pas là pour compenser les oublis politiques ou prendre en charge la mémoire collective… Chaque date retenue ferait l’objet d’une explication en classe et l’Education Nationale pourrait préparer là aussi un dossier (disponible sur Internet par exemple) pour chacun de ces évènements.

 

5)      EDUCATION CIVIQUE ET CRIME CONTRE L’HUMANITE

La pédagogie de la Shoah ne concerne ni exclusivement, ni prioritairement les élèves de CM2.. C’est en effet en collège, au niveau de la 3°, que la Seconde Guerre Mondiale est abordée pour la première fois dans le cadre d’un cours d’histoire. Nous proposons que la notion de « crime contre l’humanité » soit introduite dans les programmes d’Éducation Civique de 3° et qu’elle fasse l’objet d’une étude précise. À cette occasion la notion de génocide pourrait être expliquée et, sans exclure l’évocation d’autres génocides et d’autres « crimes contre l’humanité », les enseignants pourraient mettre en évidence le caractère « unique » de la Shoah.

 

6)      LA MEMOIRE DES ENFANTS DISPARUS

Préparé en amont par le travail historique, prolongé en aval par une réflexion sur le « crime contre l’humanité », le travail sur les victimes (envisagé actuellement en CM2) pourrait alors être dégagé d’une approche purement émotionnelle. Il serait envisageable, dans ce cadre, de proposer un travail de recherche et la constitution d’un dossier sur une victime de la Shoah. Là aussi, les enseignants d’histoire en particulier pourraient proposer cette recherche dans le cadre du cours d’Education Civique. La démarche semble plus adaptée à un adolescent ayant reçu des informations et des connaissances historiques précises sur la Shoah qu’à un enfant de CM2 dont on solliciterait l’identification et la sensibilité.

 

7)      TEMOIGNAGES SUR LA SHOAH

L’approche de la Shoah n’étant pas exclusivement réservée au cours d’histoire, nous suggérons que deux textes de témoignage concernant les camps soient intégrés dans le cadre du cours de français. Le programme de français en 3° impose l’étude du genre autobiographique. L’étude de ces témoignages pourrait s’intégrer à ce programme et proposer une approche complémentaire, le témoignage pouvant être considéré comme une variété du récit autobiographique. Là encore, une formation dispensée à l’IUFM, concernant le genre du témoignage et les exemples disponibles actuellement, serait la bienvenue.

 

8)      CONCOURS

Chaque année un concours est organisé pour les établissements de secondaire : « Le concours national de la résistance et de la déportation ». Il donne l’occasion à des élèves de travailler sur un aspect précis de la question. Nous souhaiterions que la publicité accordée à ce concours soit plus large et que les lauréats soient gratifiés de récompenses motivantes. De plus, un soutien financier pour un apport bibliographique et filmographique conséquent devrait être fourni à tous les établissements qui présentent des élèves et les préparent à ce concours.

 

9)      LA SHOAH AU PROGRAMME DU BAC EN HISTOIRE

L’enseignement au lycée est évidemment concerné par l’étude de la Shoah. Celle-ci est désormais réservée au cours d’histoire de 1ère. La période est souvent étudiée en fin d’année, moment moins favorable à une étude très approfondie pour diverses raisons. Si la Seconde Guerre Mondiale était réintégrée en classe de Terminale, l’étude de cette période serait plus motivante et pourrait être complétée par une approche différente et complémentaire en cours de philosophie.

 

10)   LES PROCESSUS GENOCIDAIRES ET LA PHILOSOPHIE

Les concepts actuels du programme de philosophie permettent aux professeurs d’évoquer la Shoah quand ils parlent de la mémoire ou du mal. Une étude plus précise sur «  les processus génocidaires » serait sans doute intéressante en classe de philosophie. Dans cette hypothèse, on pourrait imaginer l ‘étude de concepts philosophiques et politiques parmi  lesquels les notions de génocide, de crime contre l’humanité, de « banalité du mal », de racisme, d’antisémitisme trouveraient toute leur place et complèteraient utilement le cours d’histoire. Cette approche permettrait d’éviter la « concurrence » victimaire ou la concurrence des mémoires en proposant divers exemples et en dégageant la spécificité de chacun.

 

 

Sam Braun, rescapé d’Auschwitz,  auteur de « Personne ne m’aurait cru, alors je me suis tu » (Albin Michel, 2008) et Stéphane Guinoiseau, professeur agrégé de Lettres Modernes.

Publié dans sambraun

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M
<br /> Monsieur Braun,<br /> <br /> Bonjour, je m'appelle Marine, j ai 20ans et j'habite en Belgique. Je n'ai jamais eu la chance de pouvoir assister a l'une de vos conférence mais par hasard en me documentant et en m'informant un<br /> peu plus sur la deuxieme guerre mondiale et sur cette triste période qu'a été la guerre 40-45, je suis tombe sur une vidéo d'une de vos conférences dans un lycé francais.<br /> <br /> Vous y racontiez toute votre histoire, et vous y parlié aussi de Monsieur Primo Levi. Je viens juste de finir son livre ( Si c'est un homme ). Et j ai été marque comme vous par les derniers mots de<br /> ce déporté pendut pour avoir tente de s'évader : Courage mes freres nous sommes les derniers ( escusez moi si ce n est pas les mots exacts)<br /> <br /> J'ai tellement de questions, tellement de pourquoi, pourquoi l 'etre humain a-t-il put etre aussi cruel ?<br /> Pourquoi tant de haine?<br /> <br /> Peut de personne peuvent repondre à toutes mes questions, c 'est pourquoi je m'informe, je me documente, je lis et j 'essaye de trouver le plus de témoignages possibles pour essayer de<br /> comprendre;<br /> <br /> Alors merci pour votre témoignage, je vous avouerai que j aurai préférer ne jamais a devoir vous écrire ou si c était le cas pour une autre raison que de vous parler de ces horribles moments.<br /> <br /> Mais sachez une chose, je serais une passeuse de mémoire, lorsque j'avais 16ans, avec mon école nous avons fait un voyage et nous avons eu la chance, si je puis dire, j'aurai largement préféré que<br /> ces endroits n'existent jamais, de visiter trois camps de concentrations ( Mauthausen, Gusen et Dachau); Depuis ce voyage, qui m 'a terriblement marqué, je lis, je fais des recherches et j ai<br /> surtout envie de pouvoir "visiter" Auschwitz. Donc voila je voulais que vous sachiez qu'en belgique une petite jeune de 20ans pense a vous et racontera votre histoire et celles des millions<br /> d'hommes qui sont morts mais que je n'oublierai jamais.<br /> <br /> Bien a vous<br /> <br /> Marine ( Belgique, Liege )<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Chère Marine, merci pour votre si gentil message auquel je réponds bien volontiers. Effectivement la video sur DailyMotion a été prise dans un lycée catholique de Paris par le prêtre du lycée et<br /> c'est lui qui l'a envoyée à DailyMotion. Si vous avez envie de m'écrire à nouveau faites-le directement à  sbraun@wanadoo.fr. Je vous demande de bien<br /> limiter vos questions éventuelles, de ne poser qu'une ou deux questions par message. Si non je  n'y arrive pas car je reçois beauoup de mails et réponds à tous les messages malgré<br /> une maladie qui me paralyse peu à peu. Avez-vous lu mon livre "Personne ne m'aurait cru, alors je me suis tu". Il peut répondre à certains de vos questionnements. Mais je ne sais pas s'il est<br /> distribué en Belgique. Dans la négative i y a toujourds " amazone.fr"<br /> J'espère vous lire bientôt et vous embrasse.<br /> Sam<br /> <br /> <br />
E
Bonjour Monsieur,Je me présente je m'appelle Ewa et j'ai 18 ans je suis d'origine polonaise et je une lycéenne du lycee condorcet de Méru.Je vous écris car je vous admire énormement votre histoire est tragique et vous avez le courage de témoigner, de nous raconter votre histoire. Je suis d'autant plus ému car ma famille a également été victime de la barbarie de la guerre ( par les soviétique), mon oncle lui aussi va dans les écoles raconter son histoire. Et pour moi il est important de faire passer le message de cette histoire, tres prochainement un article sur le blog du cdi du lycée condorcet sera publié . Je vous dis également que si vous le désirez vous pouvez aller jeter un coup d'oeil car il y a un artcile sur vous.Bises Ewa
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P
Cher Monsieur Braun, Je me permet de vous écrire ces quelques lignes afin de vous faire part de la grande émotion que j'ai ressentie à la lecture de votre livre "Personne ne m'aurai cru, alors je me suis tu", que je'achève à l'instant.J'ai 27 ans, et je suis "passionnée" depuis mon enfance par la cette période horrible qu'est la shoah et l'haulocoste, j'utilise volontairement le terme "passionnée" car je suis  emprise d'un tel sentiment de rage et de tristesse à la lecture d'ouvrages tel que le votre que cela est devenu une passion.(j'éprouve également un grand respect pour Christian Bernadac, son décès m'a profondément attristé, aini que J.F Steiner)Mon grand père a échappé à la déportation à Dachau, c'est lorsque j'ai appri son histoire que tout a commencé...Je voulai vous remercier de m'avoir, à nouveau, fait ressentir cette émotion, mélée d'espoir et de tristesse, en vous lisant, et mon envie de transmettre ce savoir à mon fils, agé de 5 ans s'en trouve grandie.J'espere que cette nouvelle génération n'oubliera jamais.....Avec mon plus profond respect, merciMlle Claire Pecqueur
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S
<br /> Ma Chère Claire, si vous savez être "passeur de mémoire", votre fils le saura à son tour. Certes il faut évoquer le passé, mais cette évocation ne sert qu'à étayer les structures de la vie<br /> de demain, vie dans laquelle les hommes auront appris, j'espère, le plus élémentaire "vivre ensemble". La vie de certains est parfois exposée à la barbarie des autres, c'est pourquoi il faut<br /> lutter inlassablement contre les idéologies fascisantes en se souvenant que le premier fasciste que l'on doit combattre est en nous-mêmes. Si vous voulez m'écrire vous pouvez le faire directement<br /> sur  sbraun@wanadoo.fr<br /> Je vous embrasse bien fort<br /> <br /> <br />
T
Monsieur Braun,Je me permet de vous écrire pour vous faire part de mon admiration envers votre livre"Personne ne m'aurait cru, alors je me suis tu", je ne vous ai jamais entendus lors de vos conférences cependant j'ai écouté votre interview sur RTL le 14 Février et on m'a demandé dans le cadre de ma classe préparatoire HEC de lire votre livre, travaillant actuellement sur le thème de la barbarie et de la Justice.Sincère salutation
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R
lorsque  j'étais  enfant , j'aspirais  à  apprendre  le  dessin la  musique et  surtout  le  Cinéma.NON Pas  en  tant  que  VOYEUR-SPECTATEUR !  J'ai appris   depuis  Lors , toutes  sortes  de métiers et  toutes  sortes de misères.L'école publique et  surtout  privée, m'à apppris  à  occulter Toute  Cette  période  Sordide  de  l'hIStOIRE  de  l'EUROPE  et  en  particulier  la  france de  l'occupation.Avec  ses  résistants  dela  dernière  heure  , ses  traitres et  ses collabos.Rien  de  la  résistance  et  des camps  de l'Horreur.
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